LA
VIOLENCE DOMESTIQUE
Aux termes de la Convention
des Nations Unies relative aux droits de l’enfant,
la famille est « le milieu naturel pour
la croissance et le bien-être ».
Les études menées en Europe et
en Asie centrale brossent néanmoins un
tableau plus sombre de la réalité.
Pour beaucoup d’enfants, la maison n’est
pas un paradis, mais plutôt un enfer :
le lieu où la violence est la plus présente,
le lieu où elle est le moins visible.
La société hésite
encore à agir contre la violence au sein
de la famille. Les enfants sont souvent considérés
comme la « propriété »
des parents, et non comme des individus à
part entière détenteurs de leurs
propres droits à la protection. Les sanctions
violentes et humiliantes infligées par
les parents et les proches sont très
fréquentes dans la majorité des
pays d’Europe et d’Asie centrale,
et elles ne sont pas sanctionnées par
la loi. Certaines pratiques traditionnelles
préjudiciables, comme l’excision
et les crimes d’honneur, ne sont pas contestées,
par ignorance et par peur de choquer.
Chaque jour, dans tous les
pays d’Europe, des enfants sont ridiculisés,
menacés, frappés ou séquestrés.
De tels agissements à l’encontre
d’adultes seraient passibles de sanctions.
Les données du problème
Les exemples suivants donnent
une vue d’ensemble de la situation en
Europe et en Asie centrale. Il n’est jamais
aisé de recueillir des données
et des chiffres sur la violence. Beaucoup d’enfants
ont peur de s’exprimer et les statistiques
peuvent être influencées par les
questions que posent les chercheurs, par la
taille ou la composition des groupes qu’ils
choisissent d’interroger. On commence
seulement à disposer de donnés
officielles sur les atrocités commises,
comme les abus sexuels et les pratiques traditionnelles
préjudiciables, la majorité des
cas étant couverts d’une chape
de silence.
La violence au sein de la famille
- Selon l’UNICEF, chaque
semaine, deux enfants meurent en Allemagne et
au Royaume-Uni des suites de mauvais traitements,
et trois enfants en France.
- Le risque d’homicide
est trois fois plus élevé pour
les enfants de moins d’un an que pour
les 1-4 ans, qui sont à leur tour deux
fois plus exposés que les 5-14 ans.
- Selon une étude menée
en 2003 en Croatie, 93 % des enfants ont subi
des violences.
- La plupart des parents continuent
à croire qu’il est acceptable de
frapper ou de gifler un enfant.
- Dans bon nombre de pays,
10 à 30 % des enfants sont violemment
frappés avec une ceinture, un bâton
ou tout autre objet ; dans certains cas, la
maltraitance va jusqu’à la torture.
- Plus de la moitié
des enfants moldaves interrogés au cours
d’une enquête ont signalé
avoir déjà reçu des coups
et blessures.
- Trois quarts des mères
britanniques interrogées au milieu des
années 1990 admettaient avoir «
frappé » leur enfant avant l’âge
d’un an.
Les abus sexuels
- Les victimes sont principalement
les filles – pré-adolescentes ou
jeunes adolescentes – et les enfants handicapés.
- Selon une étude menée
dans 14 pays européens, le taux d’abus
sexuels, au sein de la famille et hors de la
famille, est de 9 %. Parmi les victimes, 33
% seraient des filles et de 3 à 15 %
des garçons.
- Selon une étude menée en 2000
en Roumanie, 9,1 % des enfants interrogés
auraient subi des sévices et 1,1 % auraient
été violés.
- Au Tadjikistan, 9,7 % des mères de
famille ont déclaré que leur mari
ou un de leurs proches avait abusé sexuellement
de leurs enfants.
Les pratiques traditionnelles préjudiciables
- Les « crimes d’honneur
» – c’est-à-dire les
crimes perpétrés au sein d’une
famille par des proches estimant que l’un
des leurs a commis un acte immoral – existent
depuis des siècles en Albanie et en Turquie.
- Des jeunes femmes ont été
assassinées par leurs proches en Allemagne,
au Royaume-Uni et en Suède pour avoir
refusé de se conformer aux pratiques
traditionnelles.
- Les mariages précoces,
qui sont encore pratiqués chez les Roms,
obligent de toutes jeunes filles à se
marier contre leur gré en Albanie et
en Slovaquie.
- Au Royaume-Uni, environ 200
cas de mariages forcés sont signalés
chaque année au Ministère des
Affaires étrangères et du Commonwealth.
Quelques initiatives
Il ressort de divers rapports
que l’Europe est en avance sur les autres
régions en termes de mesures prises pour
faire cesser la violence à l’égard
des enfants. Les pays d’Europe parviennent
à se défaire rapidement d’un
passé où l’on ne tolérait
que trop fréquemment les châtiments
violents et humiliants. La Suède, qui
avait entamé un processus de réformes
législatives il y a cinquante ans, est
ainsi devenue en 1979 le premier pays au monde
à interdire explicitement les châtiments
corporels. Cette démarche a été
suivie par l’Allemagne, l’Autriche,
la Bulgarie, la Croatie, Chypre, le Danemark,
la Finlande, la Hongrie, l’Islande, l’Italie,
la Lettonie, la Norvège, le Portugal,
la Roumanie et l’Ukraine. D’autres
pays, comme les Pays-Bas, la Slovaquie et la
Slovénie, ont annoncé leur intention
de promulguer une loi contre les châtiments
corporels.
La réforme des lois
s’accélère. La Cour européenne
des Droits de l’Homme a prononcé
un certain nombre d’arrêts exigeant
un durcissement des lois contre la violence
sur les enfants et a rappelé aux gouvernements
leur obligation de rendre passibles de sanctions
pénales les rapports sexuels non consentis.
En Europe, le nombre de programmes
de formation au « métier de parent
» est en pleine croissance. Par exemple,
en République de Moldova, l’éducation
au rôle de parent est en train de s’intégrer
au système de santé. En Serbie-Monténegro,
des équipes d’assistance mobiles
et des groupes multidisciplinaires pour la protection
de l’enfant sont mis en place dans les
villes, en faisant appel au savoir-faire et
à la mobilisation des communautés.
Nos propositions
Il importe que :
- les Etats soient rendus responsables
des manquements à la protection des enfants
contre toute forme de violence ;
- l’Europe devienne une zone exempte de
tout châtiment corporel ;
- l’intérêt des enfants ait
la priorité dans toutes les mesures politiques
et les décisions prises pour prévenir
la violence et y répondre ;
- les gouvernements soient à l’écoute
des enfants et tiennent compte de leurs points
de vue lorsqu’ils prennent des mesures
contre la violence ;
- les écoles et les services sociaux
et de santé se mobilisent pour enseigner
aux adultes que la violence contre les enfants
est inacceptable ;
- les enfants apprennent à régler
les conflits sans avoir recours à la
violence. C’est à l’école
qu’il faut les sensibiliser à leurs
responsabilités et à la notion
de consentement dans les relations sexuelles
;
- les décès ou blessures graves
d’enfants survenant à la maison
fassent l’objet d’une enquête
rigoureuse et systématique ;
- toute personne travaillant dans le domaine
de la protection de l’enfance reçoive
un salaire convenable et une formation appropriée,
et soit soumise à des codes déontologiques
;
- les tribunaux instaurent des méthodes
adaptées aux enfants pour recueillir
leurs témoignages ;
- les dispositifs régionaux et internationaux
des droits de l’homme soient accessibles
aux enfants. Par exemple, ils devraient pouvoir
entamer une procédure devant la Cour
des Droits de l’Homme ;
- les enfants victimes de la violence puissent
accéder librement à des soins
gratuits axés sur la réhabilitation
et la réintégration ;
- les journalistes rendent compte de l’ampleur
du problème de la violence domestique
autrement qu’à travers des reportages
à sensation sur des cas isolés
;
- les pays européens prennent pleinement
conscience des pratiques traditionnelles préjudiciables.
Références
Child Abuse and Neglect in
Romanian Families, a National Prevalence Study
2000, Autorité Nationale pour la Protection
de l’Enfance et l’Adoption (OMS
et Banque Mondiale), Bucarest, 2002.
L’abus sexuel des enfants
en Europe, Corinne May-Chahal et Maria Herczog,
Les Editions du Conseil de l’Europe, Strasbourg,
2003.
Plan d’action du Programme
national pour réduire la maltraitance
et l’exploitation des enfants au Tadjikistan,
par l’UNICEF et la Commission nationale
de protection des enfants.
Innocenti Report Card No. 5,
A league table of child maltreatment deaths
in rich nations, UNICEF Centre de recherches
Innocenti, Florence, 2003.
Réponses au questionnaire
gouvernemental diffusé par les Nations
Unies dans le cadre de l’étude
sur la violence contre les enfants.
Recherche sur l’étendue
de la violence punitive sur les enfants, résumée
par l’Initiative mondiale pour mettre
un terme à tous les châtiments
corporels infligés aux enfants. Site
consultable à l’adresse suivante
: http://www.endcorporalpunishment.org
|